De la Provence à la Belgique, comment les vignes vont-elles s'adapter au-delà de +2 °C?

Certes moins à risque que l’Espagne ou l’Italie, les vignes du sud-est de la France sont menacées par le réchauffement climatique. Une étude récente en identifie les paliers. Comment peut-on s’y adapter? Et pourquoi l'Europe du nord pourrait devenir une zone plus favorable à la production de vin.

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Sonia Bonnin Publié le 31/03/2024 à 07:31, mis à jour le 31/03/2024 à 07:31
synthese
Champs de vigne au printemps dans le Var, ici avec une culture en "gobelet", adaptée à la sécheresse. Photo Sonia Bonnin

Des tropiques à la Scandinavie, du bord de la mer à 3.000 mètres d’altitude. La vigne possède un potentiel d’adaptation extraordinaire.

Mais pour produire du vin de qualité, risque-elle d’atteindre son point de rupture? Parue cette semaine dans la revue Nature Reviews Earth and Environnement, une étude le confirme (lien en anglais). Le changement climatique est déjà en train de bouleverser la cartographie mondiale du vin. D’ici la fin du siècle, certains des vignobles historiques sont menacés.

"Environ 90% des régions productrices de vin de l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le sud de la Californie pourraient risquer de disparaître d’ici la fin du siècle, à cause de sécheresses excessives et de vagues de chaleur plus fréquentes."

Pour prendre une image, le changement climatique aura pour effet de faire glisser la cartographie favorable au vignoble vers le nord. De même qu’il a déjà fait glisser dans l’été les dates de vendanges. "La vigne est un très bon marqueur de l’évolution climatique", observe Benjamin Bois, co-auteur de l’étude et maître de conférences à l’Université de Bourgogne. Notre région est sur une ligne de front.

Retrouvez ici, son interview complète.

En quoi cette étude est-elle originale?

Benjamin Bois: Cette étude est une synthèse de la littérature scientifique sur le changement climatique et la vigne, en explorant l'évolution géographique des potentialités pour la production de vin à l’échelle mondiale. Je ne crois pas que de précédentes synthèses aient atteint ce niveau d’exhaustivité sur l’étude des risques et opportunités à l’échelle planétaire.

Benjamin Bois, agronome spécialisé en viticulture, maître de conférence à l'Université de Bourgogne Photo DR.

De tout temps, les vignerons ont été en prise directe avec les conditions climatiques.

La vigne est un marqueur du climat. L’étude sur des dates de vendanges depuis le 14ème siècle permet de reconstruire une évolution des températures. 

Les dates de récolte sont l’un des outils pour estimer la température qu’il faisait dans le passé, avant l’apparition des thermomètres.

La vigne est donc un très bon marqueur de l’évolution climatique. Depuis une dizaine d’années, le projet LACCAVE, mobilise une vingtaine d’équipes de recherche en France. Elle a permis d’identifier, en lien avec la profession viticole, un très grand nombre de stratégies de réponses au changement climatique à horizon 2050, adaptées aux différents bassins viticoles français.

L’étude établit une notion d’inaptitude? De quoi s’agit-il?

Dans l’étude, nous parlons bien de potentialités. Il ne faut pas considérer que cela signifie la fin de la viticulture, mais un défi à venir. Les régions méditerranéennes, et leurs vignobles, sont celles qui seront le plus affectées par le réchauffement. On a une sensibilité d’autant plus marquée, que certaines variétés plantées ne sont pas bien adaptées à ces climats. Je citerais le merlot, qui apprécie les climats tempérés.

Ce défi est d’autant plus grand qu’on ne parvient pas à limiter le changement climatique.

On arrive donc à une limite?

Si la chaleur et le stress hydrique sont plutôt une bonne chose pour la production de vin rouge, on touche aux limites. Pour la production de rosés, on essaie de préserver des couleurs très pâles, or les faibles pluies et la chaleur favorisent la coloration du vin. Cela demande une grande adaptation et une grande anticipation. Ni le Var, ni le Languedoc ne font exception.

Les arômes changent, pas forcément de manière négative, mais le profil du vin évolue.

La bonne nouvelle est qu’on produit du vin dans des régions bien plus chaudes que le bassin méditerranéen (en Australie, en Californie). Plus on récolte tôt, au cœur de l’été, plus il faut surveiller le raisin comme le lait sur le feu. La maturation va très vite, si on laisse passer quelques jours, on n’a plus les potentialités optimales du raisin.

Système d'irrigation dans un champ de vignes Photo Sonia Bonnin.

L’étude est très réservée sur l’irrigation. Pourquoi?

Dans plusieurs régions dont la vôtre, l’irrigation est pratiquée avec parcimonie. Ce n’est pas le cas partout.

Est-ce raisonnable d’apporter de l’eau à une plante comme la vigne, dont la capacité d’adaptation à la sécheresse est tout à fait remarquable?

Si l’eau vient à manquer, il faudra arbitrer avec d’autres activités humaines, comme le tourisme ou tout simplement pour les besoins domestiques. Dans ce cas, pas sûr, que la viticulture ne soit prioritaire.

Il  faut d’abord mettre en place toutes les techniques d'adaptation, pour éviter le recours à l’irrigation, et éviter de rentrer en concurrence avec les usages de l’eau pour les populations.

Comment?

En Méditerranée, la culture ancestrale de la vigne en "gobelet" est particulièrement adaptée à la sécheresse. Les vignes ne sont pas reliées les unes aux autres, mais espacées. Le feuillage est plus réduit et les plants sont individuels.

Bien sûr, cela induit une baisse des rendements, mais c’est une production plus viable avec le changement climatique.

Certains abandonnent des pratiques ancestrales d’adaptation pour des méthodes plus productivistes. Plantée en rangs, comme une haie, la vigne a une surface foliaire plus grande. Mais s’il y a plus de feuilles, la vigne sera plus gourmande en eau.

 

Impact du réchauffement sur le vignoble en Europe infographie Climate change impacts and adaptations of wine production, Cornelis van Leeuwen (2024).

Cela peut surprendre, le nord de l’Europe gagne en potentiel.

Il y a une ouverture sur les régions du nord de l’Europe. Certes, il ne faut pas aller trop vite en besogne. Même si on a déjà de la vigne en Suède, cela reste anecdotique et les potentialités y resteront très limitées dans les prochaines décennies. En revanche, plus au sud, les vins belges se développent rapidement, également en Bretagne, en Normandie ou dans les Hauts de France, où des projets viticoles se développent déjà.

Dans le courant du siècle, des potentialités s’ouvrent de manière assez flagrante. À l'échelle mondiale, elles se situent plutôt au nord de l’Europe, en Allemagne, aux Pays-Bas. Même le nord de la Pologne, sur une frange maritime. Dans le nord du continent américain, c’est très différent, car les hivers sont encore très froids.

Et localement?

Les territoires ont une diversité géographique très riche. À proximité de la Méditerranée, la vigne bénéficie d’une régulation thermique. Quand on est dans le Haut- Var à 600 ou 800 mètres d’altitude, on garde de la fraîcheur.

De nouveaux terroirs vont émerger, avec de nouvelles potentialités. Pourquoi pas des coteaux exposés au nord, alors que ceux des versants sud, dans les terres, à basse altitude seront les premiers à souffrir. Car ils ne bénéficient pas de la régulation thermique de la mer, ou de la fraîcheur d l’altitude

Je suis sûr que vous allez trouver des vignerons qui sont très contents du climat actuel et qui font des vins excellents car ils ont planté des vignes dans des positions topographiques favorables.

Nous ne sommes pas devant une condamnation de la viticulture sur la région méditerranéenne, mais une redistribution des cartes et des potentialités, à laquelle la profession va faire face.

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