"Vous êtes fous d'acheter ici!": comment vit-on dans l'écoquartier Nice Méridia?

Dix écoquartiers ont vu le jour dans les Alpes-Maritimes et cinq dans le Var. L'ambition, construire en prenant en compte les enjeux de la ville de demain: économie, écologie, développement durable. Mais répondre à des critères, aussi précis et intelligents soient-ils, est-ce la garantie d’une vie douce et paisible? Nous sommes allés nous immerger dans un écoquartier, guidés par Thomas, un habitant, avant de demander à des experts de poser un regard aiguisé sur ces modes de vie, de travail, de construction, de fonctionnement. Alors, comment vit-on à Nice Méridia? Et se projette-t-on sereinement dans l’avenir?

Gaëlle Belda Publié le 11/05/2021 à 20:00, mis à jour le 17/05/2021 à 18:16
Thomas Beucler, notre guide, est propriétaire d'un duplex à Nice Méridia. Dylan Meiffret

Quitte à bâtir, autant le faire en cohérence avec les grands enjeux de demain: économie, écologie, développement durable. L’écoquartier se pose là. Et dans la région, le label - qui répond à un certain nombre d’exigences en matière de cadre de vie, d’usage, de logique de développement territorial, d’environnement et de climat -, fleurit ici ou là. On en compte dix dans les Alpes-Maritimes et cinq dans le Var. 

A Nice, on entend beaucoup parler de l’écovallée, de l’écoquartier de la plaine du Var. Mais finalement, on le connaît mal. Il faut dire qu’en matière d’attractivité, ce n’est pas encore ça.
La crise sanitaire n’arrange rien. Les rues sont désertes, les restaurants fermés et nombre de terrains poireautent en friches, au milieu des premières tours ultra-contemporaines. Les habitants vont et viennent… un peu à pied ou à vélo, beaucoup en voiture. La sonnerie du tram résonne à chacun de ses arrêts - tous les quarts d’heure, pas encore la panacée - dans cette zone peuplée de promesses. 

La patience. Une vertu que travaille Thomas Beucler, installé depuis environ un an dans la résidence Pléiade, signée par l’architecte Jean Nouvel. Avec son épouse, ils ont acheté sur plan.

Nous étions à l’étranger et nous ne cherchions pas à investir. Nous voulions vraiment trouver un lieu de vie, à Nice."

Ils sont les propriétaires d’un grand duplex au dernier étage de la tour immaculée et végétalisée - les "jardins" sont signés Alain Faragou. Avec vue sur toute la vallée. "Ce n’est pas encore très beau mais ça va le devenir…Il y a encore beaucoup d’ajustements en cours, y compris dans notre bâtiment. Et des travaux à venir mais nous continuons de croire aux promesses du projet global." 

L’espace de quelques heures, il sera notre guide dans ces quelque 24 hectares en devenir, à l’extrême ouest de la capitale azuréenne.

Un accès facilité à la propriété?

Thomas, notre guide de quelques heures, au seizième étage de son immeuble. Dylan Meiffret.

Dans l’ascenseur vitré, le paysage défile. On n’a pas l’habitude, à Nice, de grimper aussi haut. Seizième étage. Du blanc, du béton brut et une structure qui s’allonge jusqu’au ciel. Devant chaque pas de porte, des passerelles comme celles des bateaux. Et des jardinières. Partout. Fleurs, plantes aromatiques, fraisiers… Judy, l’épouse de Thomas, nous ouvre la porte du duplex.
Les lignes sont pures et filent jusqu’à la terrasse en bois. La baie vitrée disparaît et laisse les espaces pleinement communiquer. Les trois chambres sont à l’étage. On est dans un appartement signé, ça se voit.
"On a pas mal de problèmes quand même. Des soucis d’évacuation d’eau, notamment. Certaines finitions, dans les parties communes n’ont pas été réalisées à cause d’infiltrations. L’ascenseur tombe en panne quand il fait très chaud. Les panneaux solaires sont là mais pas encore connectés…"

“Je crois que l’avenir est au tout en commun et au partage”

Il sourit. Il voit le verre à moitié plein. "On a acheté une voiture électrique pour accentuer encore la démarche. On a une borne de recharge sur notre place de parking. Bientôt le local vélo sera livré… Je crois que l’avenir est au tout en commun et au partage mais disons que, pour le moment, ce sera déjà pas mal, étant donné qu’on n’a pas encore de stations vélos bleus dans tous les quartiers." 

Depuis son solarium, il voit toute la vallée. De la mer à la montagne. Il arrive à se projeter. Il pointe du doigt: "Ici, il y aura un pôle gériatrique et une crèche. Ici, l’école. Là-bas, ce sera le macrolot Joia Méridia, avec une grande place centrale et des commerces. Tout le long, la coulée verte…"

C’est sa capacité à imaginer la suite qui lui a permis d’investir une somme raisonnable pour un bien d’une centaine de mètres carrés, ici. Bien situé, donc, puisque bien desservi, bientôt animé et verdoyant. Ce qui est loin d’être évident à Nice.

Quand tout sera flambant, il y a fort à parier que les prix le seront aussi.

OIN: la Métropole jongle avec cinq projets

Nice Méridia, c’est 24 hectares, 347000m2 de capacité constructible, 5000 habitants, 5000 étudiants, 5000 emplois... Des parcs, des coulées vertes, des commerces, des hôtels, des stations vélo bleu, une grande place centrale, des jardins suspendus, potagers, etc. Le tout en parallèle d’autres chantiers: la Métropole en dénombre cinq dans le périmètre de l’opération d’intérêt national (OIN).
Dans le prolongement de Nice Méridia, il y a le Grand Méridia, ses 60 hectares, dont le parc urbain de 20 hectares. Il y a aussi le Grand Arénas et ses 49 hectares et ses 750.000 m2 de surface plancher.  Les 19 hectares de Lingostière Sud et l’opération du Hameau de la Baronne (La Gaude). Le protocole de partenariat engage tous les partenaires jusqu’en 2032. 
Il a treize ans, Christian Estrosi, président de la Métropole Nice Côte d'Azur, tenait “à donner au territoire toutes les chances de se développer de manière exemplaire et durable, pour apporter, aux générations futures, les garanties d’un avenir meilleur”. Soulignant qu’il “n’a pas été facile de le faire accepter”. Il rappelle: “Les éco-industries n’étaient pas identifiées comme levier de développement et aménager des friches encore moins! Aujourd’hui, l’Ecovallée est au service de la croissance de l'ensemble de la Métropole, plus personne ne remet cela en doute.”

Lieu de vie et pas cité dortoir

Nice Méridia ambitionne d'être un vrai lieu de vie. Photo Dylan Meiffret.

"Venez, on descend par les escaliers pour que vous puissiez voir un peu…" Thomas Beucler nous emboîte le pas. C’est florissant. Il y a du jasmin qui dégringole et des plantes fleuries aux portes des appartements. Beaucoup d’air et de lumière. En bas, on traverse la cour qui mène à Odyssée, le pendant de Pléiade. Ici, c’est Côte d’Azur Habitat qui gère. Des logements sociaux donc, qui partagent parkings, parcs, local vélo et jardins avec le plus grand des deux bâtiments. 

Le bâtiment Jean Nouvel mise sur la végétalisation. Photo Dylan Meiffret.

Juste derrière, Anis, immeuble de bureaux. Immaculé aussi, il met en scène des terrasses et de longs escaliers de manière très graphique, en façade. Il y a de grands arbres à chaque étage. Thomas Beucler apprécie.
"Il est très beau. J’espère qu’il gardera sa teinte. Les toiles du nôtre ont bougé et pour le nettoiement de la structure, visiblement, les cordistes vont avoir du mal à s’attacher… On verra."

Avec Joia Méridia, on va peut-être trouver une vie de quartier qui nous fait encore défaut

On longe les rails du tram. "C’est encore un peu triste. Je trouve que c’est plus efficace aux Moulins, la végétation est plus dense notamment." Puis là, on a de longues palissades de chantier. La promesse de Joia Méridia. Tellement d'appartements à venir que ça donne le vertige rien que sur les images de synthèse.
Thomas n’a pas peur. Il est même impatient.
"On va trouver les commerces qui nous manquent, de l’animation et une vie de quartier, peut-être, que l’on a bien du mal à constituer encore."

Il y a des gens qui courent. "J’adorerais qu’on nous fasse des pistes spéciales. J’ai vu ça à l’étranger et ça existe aussi à Monaco." Il est surtout impatient d’avoir des espaces verts. "J’ai été déçu d’apprendre que ça arriverait si tard… c’est vraiment quelque chose que l’on attend avec impatience. On sait déjà qu’on en profitera énormément."  

Fin d’aménagement prévue à l’horizon 2032.

On marche le long des rames du tram, contre les palissades de chantier. Photo Dylan Meiffret.

A cette heure, il y a peu de monde à l’arrêt de tram. Il justifie: "Un tram toutes les 14 minutes, peut-on appeler ça un tram? On a aucun moyen de suivre le trafic en direct. Si on en rate un, on se met dans le jus. On a voulu jouer le jeu pour sortir le soir, etc. Entre le délai et les correspondances qui ne collent pas… ce n’est pas encore ça de ce côté-là.  Aujourd’hui, ma femme refuse qu’on le prenne pour sortir en ville! Si on veut aller dîner, on prend la voiture, on se gare et voilà."

La voiture étant électrique, c’est moindre mal… mais quand même.

Vivre… et travailler à deux pas

Le bâtiment Anis, principalement des bureaux. Photo Dylan Meiffret.

La mixité reste le maître mot dans ces quartiers et cela passe par l’installation de bureaux, d’entreprises. Notre guide a repris une formation en école de commerce et se déplace en transport en commun. Il observe avec intérêt ceux qui se regroupent dans les parcs de son quartier à l’heure de la pause déjeuner. "ça donne envie et de la vie. Surtout, ils évoluent dans un cadre qui, à terme, sera plutôt sympa." 

Un cadre innovant auquel la conception des bâtiments participe également. Casser les codes, repenser les organisations, apporter plus de modularité, de fluidité dans les déplacements. C’est toute la philosophie de la vie en entreprise qui se donne, ici, la possibilité d’être révisée.

Est-ce que ça fonctionne? Encore une fois, on a peu de recul… Le concepteur a quand même des retours: "Ils sont bons." Dimitri Roussel, architecte d’Anis et, avec Adrien Lambert, d’une partie du macrolot Joia Méridia à venir, raconte: "Quand j’ai présenté mon projet à Nice, j’avais 28 ans. C’était la première fois que je travaillais sur un immeuble de bureaux. Je me suis d’abord interrogé sur le sens de ce type de bâtiment et sa durabilité." 

Bilan? Ce type d’installation, quand elle perd sa destination, est régulièrement vouée à la destruction. Merci l’écologie. Et l’économie. Il a donc voulu concevoir des étages de bureaux potentiellement évolutifs en appartements. "J’ai libéré le coeur de toutes ses contraintes. Les escaliers sont à l’extérieur et il y a énormément de terrasses, 40% d’espace extérieurs. Un record en France." 

Surtout, l’aménagement intérieur y est facilité, le tout traversant apporte beaucoup de luminosité et les terrasses des espaces de convivialité très appréciés. Quant aux végétaux… “Renaturer nos villes, favoriser la biophilie, sont nos enjeux de demain.” Ce n’est pas qu’esthétique. C’est une question sociale et environnementale.

C'est à ma génération d’architectes de faire bouger les lignes: la question de la transition écologique nous appartient pleinement.
Dimitri Roussel, architecte d’Anis

"Nice a l’un des climats les plus favorables, ça aurait été dommage de se priver de tous ces extérieurs, des plantes. Sans compter que les débords, les balcons protègent du soleil.

Il y a tout un travail bioclimatique qui permet de moins chauffer l’hiver et de bien moins climatiser en été."

Une autre de ses missions d’architecte. “Ce n’était pas spécifiquement dans le cahier des charges. Je pense tous mes projets de cette façon-là, considérant que c’est à ma génération de faire bouger les choses en ce sens. La question de la transition écologique nous appartient pleinement.” Ecoquartier, ou pas.

"Je pars aussi du principe que quand le corps est en mouvement, l’esprit l’est aussi. Quand les gens naviguent de l’intérieur à l’extérieur, empruntent les escaliers en façade, prennent l’air, je crois que cela participe à leur bien-être et à leur efficacité."

Dimitri Roussel, architecte: “La ville de demain doit être mixte”

Maison médicale, lieu de loisirs, culturel, place centrale hommage à Garibaldi, résidence étudiante, ferme agricole sur le toit. Dimitri Roussel et Adrien Lambert ont été sélectionnés pour travailler sur le très attendu Joia Méridia. 

Leur bébé? La "cité du bien-être"… ou,à en entendre la description, une arrière-arrière-arrière petite fille la Cité radieuse marseillaise, signée Le Corbusier. Une “machine à habiter”, qui favorise bien-être et confort. Un seul lieu mais tous les services indispensables au quotidien des habitants. Tiens, ça rappelle quelque chose...

Il sourit. Jamais il n’osera la comparaison. Il se concentrera plutôt sur les objectifs: “La ville de demain doit être mixte et permettre la démobilité.” C’est-à-dire que je ne me déplace que si j’ai envie de me déplacer. Pour le reste, j’ai tout sous la main. 

"Anis a déjà été comme un manifeste pour nous. Il concourt d’ailleurs pour le prix Van der Rohe du meilleur immeuble européen. Nous aurons le résultat dans six mois. Je m’en inspire beaucoup dans mes autres projets. Et la Cité du bien-être, qui s’organise autour d’un grand patio de fraîcheur, devrait aussi être très inspirante. Ce n’est pas une addition de choses, c’est une cohérence. Ce projet apporte toutes les réponses."

Quid de l'humainement beau?

Les associations écologistes luttent pour que soient préservées certaines espèces. Photo Dylan Meiffret.

Retour à notre balade urbaine avec Thomas Beucler. Direction Pleiade pour la fin de la visite. Avenue du Docteur-Victor-Robini, on longe les herbes folles. Notre guide fait la moue. “Il y a beaucoup d’interventions écologistes dans le quartier, pas mal de recours. Là, on protège une espèce alors on ne coupe pas l’herbe. En cette saison, c’est joli mais quand ça sèche, il suffit d’un allumette pour que tout flambe. Je suis partagé.”

L’épicerie à côté ferme ses portes. Il y a des garages automobiles et du stationnement anarchique. Esthétiquement, tout n’est pas non plus complètement réglé. 
Mais est-ce que ce le sera un jour? 

Je crois que nous avons été trop technocentrés.
Christine Voiron-Canicio, géographe

Christine Voiron-Canicio, professeur de géographie à l’université Nice Côte d’Azur, spécialiste de la ville durable, travaille ici et a un avis tranché sur la question: “Le modèle des écoquartiers, on en revient. La ville normée manque de chaleur humaine. Certes, on veille à faciliter les cheminements piétons mais si c’est pour traverser des bâtiments hideux..."
Selon elle, on a bien trop misé sur la
“technologie du bâtiment”. “On n’a pas cherché à les rendre humainement beaux.”

Mais le beau… c’est subjectif, non? “Je crois que nous avons été trop technocentrés. Une construction doit quand même être en adéquation avec la ville, son cachet, son passé, les paysages qui vont autour.” Elle le martèle: “On peut avoir une ville à la fois écologique, belle et chaleureuse.”

Gérer "l’émerveillement du piéton"

Le futur bâtiment signé Sou Fujimoto. Image de synthèse - DR.

Thomas n’est clairement pas en phase avec la géographe. Il n’a qu’une hâte: découvrir l’oeuvre incroyable de Sou Fujimoto (notre image d’illustration). 

Dimitri Roussel reprend la main: "J’entends complètement la critique. Au regard des 20 dernières années, j’entends que l’émerveillement du piéton a été mal gérée. Mais là-dessus, les architectes se sont repositionnés. C’est un mouvement récent donc aujourd’hui, il est encore trop tôt pour en ressentir les effets. Mais ça va venir."
L’architecte insiste: "La ville de demain, ce n’est plus la ville vernaculaire d’hier, c’est certain. Il faut échapper à cette nostalgie." Cette nostalgie qui veut que l’on marque fortement notre identité par l’utilisation de matières précises, de couleurs et de formes. 

Il poursuit: "Et si la question de la couleur a été un peu oubliée jusque-là à Nice Méridia, il faut savoir qu’un travail est mené sur des stores de couleurs pour les commerces, autour d’une place pensée comme une place royale, en hommage à Garibaldi."

L’inspiration serait locale? Ce n’est, certes, pas toujours évident.

La minéralité comme un art de bâtir méditerranéen.
Dimitri Roussel, architecte

"Dans mon projet, à Joia, je mets en scène la terre cuite. Il y aura des tomettes, du bois. Mais plus globalement, nous sommes dans une notion que nous appelons minéralité diaphane. Un thème visant à concilier trois principes: la minéralité comme un art de bâtir méditerranéen, un mode de vie en prise avec le climat, et une expression de la hauteur de construction des bâtiments par la légèreté."

Thomas Beucler retrouve justement son seizième et le blanc immaculé de la façade végétalisée souhaitée par Jean Nouvel. "On nous a dit: vous êtes fous d’acheter! On ne regrette rien. Moi qui planche sur la question de la mobilité de demain, je persiste et je signe: ce quartier, c’est l’avenir."

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